Respirer… respirer… et courir plus vite. Deuxième à droite, ne pas trébucher. Leurs voix derrière se rapprochent et semblent toujours plus nombreuses. Les bruits de pas qui se précipitent dans la course emplissent de leur écho les ruelles sombres du cimetière. Les ombres glissant sur les murs grandissent et disparaissent au rythme des quelques lampadaires autonomes et de la lumière fantomatique projetée par les hélicoptères surveillant de loin la ville endormie.
Le coeur s’accélère. Vingt minutes qu’il court et la fatigue commence à l’envahir. Trois jours qu’il n’a pas dormi, deux jours qu’il ne mange pas. Et derrière lui ces brigades qui ne décélèrent pas. Leurs bottes en caoutchouc font moins de bruit que ses baskets abîmées ; elles sont faites pour cela. Devant lui, une impasse. Il hésite, pas longtemps, grimpe le mur le plus proche, se hisse sur le toit de tuiles abîmées et reprend sa course folle.
Le sang lui bat aux tempes. Le mausolée, c’est vers le mausolée qu’il faut aller. Mais sa silhouette se détache désormais clairement sur le ciel nuageux, se perd à peine dans l’épaisse couche de pollution à particules fines. Il a du mal à respirer mais doit impérativement continuer. Il entend en bas les forces armées qui le suivent au pas de course, accélère son allure, manque par deux fois de retomber dans une des ruelles du dessous mais se rattrape et comme un fou recommence à fuir.
Le front et les mains trempés de sueur, il se rassure. Si tout se passe bien, au mausolée ils l’attendent. L’ombre des tunnels clandestins regorge de secrets et c’est dans l’un d’entre eux qu’il doit se fondre. On lui a promis, on lui a promis… soudain il perd l’équilibre, s’effondre sur la pierre, roule et s’écrase dans une flaque de boue. La jambe droite est touchée et le lance. Mais le mausolée est au bout, au bout de la longue ruelle droite et personne n’est encore en vue.
Sa vision se brouille, un mal de crâne s’installe. Il se redresse, chancelant, et dans une grimace de douleur reprend son allure démentielle de condamné fuyant la mort. L’adrénaline fait son effet, il ne sent bientôt plus le sang qui se vide par sa jambe. Le mausolée se rapproche, les pas derrière lui aussi. Il distingue la lucarne derrière la porte ouverte. Le tombeau est déjà ouvert pour lui. C’est la dernière ligne droite, il peut y arriver. Il doit y arriver. C’est sa seule chance et ici, le pardon n’existe pas.
Respirer… respirer… Et courir plus vite. Surtout, ne pas trébucher. Ni la boue, ni le sang, ni les bruits derrière lui ne doivent le déconcentrer. L’obscurité protectrice du souterrain n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres. Il accélère, ignore la douleur, ignore la peur, tend la main vers l’avant et en pleine course, s’écroule tête la première dans la boue, la tempe trouée et sanglante, l’oeil vitreux.
Crédit photo : © Adelythe Wilson